Au fil de l'eau, au gré du vent …

Ola lecteurs assidus de ce blog en déroute!

Je sais que cela fait bien longtemps que nous n’avons pas donné signe de vie mais, comme vous pouvez le constater, nous avons survécu à cette nouvelle traversée. Nous sommes arrivés en pleine forme tous les 6 aux Canaries. Voici le générique complet de notre première promenade en Atlantique.

(Pour faire naître en vous des émotions plus fortes, nous vous conseillons vivement d’imaginer une voix chaude et caverneuse durant la lecture de cet article)

Vendredi 11, Samedi 12, Dimanche 13, Lundi 14, Mardi 15 novembre

La Linéa (Espagne) / En mer

7h15 du matin au port de La Linéa. Les trois équipiers du Kusupa, les cernes au garde à vous et les baskets au pieds, procèdent méthodiquement aux largages des amarres sans qu’aucun grain de sable ne vienne se coincer dans le fragile rouage de la manoeuvre. L’un d’eux s’écrit alors  d’une voix pleine d’émotion : « Nous partons à 6, nous arriverons à 6! »

La météo annonce un vent moins fort que les jours précédents (tant mieux pour eux) mais qu’ils prendront en pleine face (tant pis pour eux). Ils décident honteusement d’avancer au moteur afin de passer tranquillement le fameux détroit de Gibraltar. Contre toute attente et malgré les nombreux écrits lus ou récits entendus, Gibraltar n’a rien d’une autoroute à cargos en ce vendredi matin 11 novembre. Les valeureux marins s’étonnent d’être quasiment seuls au milieu du détroit et traversent vaillamment au cœur de cet endroit mythique dont ils parlent depuis si longtemps, symbole pour eux d’un «après » : ils quittent la Méditerranée et passent à l’Ouest, dans l’Atlantique.

C’est un grand moment qu’ils vivent intensément et ils ne manquent pas d’appeler les trois moussaillons encore groguis de fatigue afin qu’ils profitent également de cet instant, synonyme d’une étape importante de leur aventure.

Et c’est parti pour 5 jours de mer non stop !

Qu’advient-il d’eux durant ces 5 jours et 5 nuits passés en mer… C’est ici que le récit commence de cette toute première expérience d’aventuriers confirmés. Que personne ne s’étonne si, sous une apparence décontractée, ce voyage de plus de 120 heures prend des allures de croisière épique.

Leur quotidien est à la fois organisé et désordonné, répétitif et inattendu, angoissant et serein, ensoleillé et humide, joyeux et lascif, musical et bruyant. C’est ainsi qu’ils  déploient bon nombre de stratagèmes pour traquer les périls que la mer peut leur réserver à tout instant. La description sommaire ci-dessous de leur épopée est un aperçu de ce grand moment que nous vous offrons en exclusivité.

• Leur pire ennemi : la météo. Ils doivent affronter durant de longues heures une météo clémente : un ciel bleu, un soleil rayonnant, des nuages épisodiques, une mer peu agitée, une houle tranquille (à peine 1 à 2 mètres de vagues lentes et espacées), un vent constant établi entre 10 et 15 noeuds. C’est une situation qu’ils parviennent parfaitement à maitriser en sortant shorts, tee-shirt à manches courtes et crème solaire.
• Leur épée de Damoclès issue des 5 F : la Fatigue. Grâce à une organisation minutieusement préparée, leurs veilles de nuit deviennent supportables et la fatigue est surmontée.  Ils se partagent bravement les quarts de nuit en 6 rotations de deux heures chacun (le capitaine du navire prend les quarts de 20h à 22H et de 2h à 4h, la capitaine en second prend ceux de 22h à minuit et de 4h à 6h et l’équipier fait ceux de minuit à 2h et de 6h à 8h). Cela leur permet de dormir près de 8 heures chaque nuit. Ainsi, ils se réveillent chaque matin  frais et dispos pour entamer une nouvelle journée. Les petits mousses, très investis dans cette longue navigation, les aident comme ils le peuvent à faire les quarts et passent quelques heures nocturnes avec veste et gilet. L’un s’endort rapidement dans le cockpit et est porté jusqu’à son lit malgré la lourdeur de son ossature, l’autre demande au veilleur de lui lire des histoires jusqu’à des heures tardives et le troisième réclame à corps et à cris des discussions interminables sur tout et rien.  Malgré les bons sentiments des marins envers leur progéniture, ils conviennent tous les trois que cette aide ne peut durer. Les moussaillons seront donc relégués à leur lit le plus tôt possible dès que l’occasion se présentera. Malgré la tombée précoce de la nuit, l’humidité nocturne, les longs et inconfortables habillages et déshabillages, la peur de la chute dans l’eau, la solitude de ces temps de veille, la lecture des Piliers de la Terre de Ken Follett (à recommander absolument !!) où de braves villageois se font persécuter injustement par de méchants seigneurs , ils restent vaillamment à leur poste et aucune de ces épreuves n’entament leur motivation toujours renouvelée.
• Une attention de tous les instants est nécessaire à ces guerriers de la mer à cause de l’équilibre précaire dû au mouvement continuel du navire sur les flots. Mais, parvenant à lutter contre leurs estomacs sans dessus-dessous, ils développent de façon vertigineuse leurs capacités de mouvement et de proprioception multipliant cependant les hématomes et assurant avec difficulté les tâches telles que la préparation des repas et leur ingurgitation, la toilette sommaire et la vaisselle vomitive
• Ne pas tomber dans l’ennui à cause de toutes les activités redondantes:  lecture, observation des vagues, réflexion sur la navigation et au réglage des voiles, observation des vagues, école (les petits mousses réussissent à faire l’école durant les navigations, c’est une vraie chance pour eux car ce n’est pas courant), moments musicaux en guitare (le petit dernier de 5 ans se met à la composition de chansons dans lesquelles il parle notamment d’amour avec un titre original « la décapitation »), observation des vagues, legos, playmobils, combats de moussaillons, discussions, dodos et observation des vagues
• Quelques éléments rassurants pour la suite de leur parcours : de l’eau en quantité suffisante pour 5 jours, une nourriture variée grâce aux talents de cuisinier des hommes du bateau, une sérénité absolue des deux marins masculins, le bonus Mathieu qui se révèle être un précieux compagnon de route doué d’une capacité d’endormissement à toute épreuve  malgré son obsession pour la pêche, une simplicité de la vie qui les régénère.

Ainsi, au péril de leur vie et avec le courage de lions pris au piège, au fil de l’eau et au gré du vent, au clair de lune et à l’aube éblouissante, ils parviennent à vivre des moments d’exception : la solitude étrange des quarts de nuit, le bonheur de leurs chérubins, les lumières extraordinaires de fin de journée, les  fameuses discussions sur tout et rien, les silences apaisants, les rires en pagaille,  les chansons du gamin dignes du Top 50, le pied marin des petits mousses, les pipis et popos au rythme des vagues, les 5 pêches ratées et LA pêche réussie (un beau thon rouge), la pleine lune rousse …

Telle une parenthèse onirique dans leur aventure, cette première traversée a été un moment fort agréable pour l’ensemble de la tribu du Kusupa. Elle leur permet d’appréhender sa grande sœur avec moins d’inquiétude.

Des questions pourtant restent en suspens  : leur capacité électrique, en eau et en nourriture  sera-t-elle suffisante pour 20 à 22 jours de traversée ? Trouveront-ils suffisamment de force en eux pour poursuivre l’aventure? Les enfants parviendront-ils finalement à se trouver des copains de jeux?  Réussiront-ils à tenir la dead line du nouvel arrivant sur le bateau qui est attendu pour le 18 décembre en France ce qui suppose un départ pour la Grande Traversée vers le 26 novembre?  Autant de questions sans réponse …

Pour connaître le sort que réservera Jupiter et ses acolytes à ces aventuriers des mers, ne ratez pas le prochain épisode de Ils étaient une fois à l’Ouest !!!