Parce qu’il est bon de partager un peu de leur quotidien et de pouvoir en rire, voici un petit écrit de Mathieu, le frère de Simon, à quelques jours de l’arrivée aux Açores.
Mercredi 24 mai, 16h 30 TU, 14h30 sur Kusupa, 12h30 en Martinique.
La traversée n’est pas terminée, et ce n’est pas encore l’heure des bilans. Mais comme aujourd’hui c’est accalmie, donc répit, j’en profite pour regarder dans le rétro.
En ce mercredi nous avons entamé notre 15ème jour de nav, et en ajoutant le faux départ de trois jours pour repli sur St Martin, nous en sommes à un peu moins de trois semaines tous les 4 à bord de Kusupa. Le bon moment pour faire une petite présentation de l’équipage embarqué dans cette virée, du plus vieux au plus jeune mais pas forcément du plus sage au plus immature.
Jeff, c’est le mec qui a entendu transatlantique, s’est arrêté à transat et a confondu ça avec le machin où on pose ses fesses et où l’on expose ses pieds en éventail face à la mer. Bon évidemment il s’est trompé. Je me moque, mais en même temps vu l’âge du pater, respect. Il ne dit rien, ne bronche pas, mais il y a des jours où il lutte sévère. D’autant qu’avant même le départ il s’est rétamé en beauté, a fait chatouiller ses côtes flottantes sur le sol du carré… Mais il a tenu à en être, alors il en est.
En une belle fin d’après-midi, profitant de la pétole Simon Loïc et moi avons fait un petit plouf, Jeff restant sagement sur le pont. Le lendemain, même condition donc même effet, plouf pour nous 3 et puis le père se décide. Mais lui ne veut pas y aller à fond, il se présente sur la jupe du bateau, trempe sa nuque puis use de l’échelle pour descendre petit à petit. Soudain il se lance, il lâche l’échelle, se laisse aller en arrière les bras en croix, sourit de bonheur dans l’eau avant de prendre conscience que le bateau avance. Et là panique, changement radical de faciès, brasse frénétique mais inefficace. Persuadé qu’il ne va pas rattraper Kusupa, le père fait du surplace. Alors on le rassure, on lui dit qu’il va y arriver, qu’il doit juste se détendre, s’étirer dans l’eau. Retrouvant son calme, le nageur s’applique et peu à peu regagne l’échelle. Délivrance pour l’un, la barre de rire sur le pont pour les 3 autres.
Loïc, c’est le mec qui a entendu transatlantique, s’est dit ok et a acheté toute la panoplie du marin pour le grand large. Sur sa peau 5 couches, et il peut même monter jusqu’à 6 si il le faut. Veste de quart haute définition, bottes, polaires, bonnet, tout y est, rien ne manque. Et beh zut, des fois, il a froid. Le tonton c’est le roi de la bricole, alors dès qu’il y a une merde sur le bateau c’est l’occasion rêvée pour filer un coup de main au frangin. Des gants mapa et un sac plastique pour trouver une solution à nos problèmes d’infiltration d’eau. Du chatterton et du fil pour la ligne malade de Tonton Hub pour pêcher. Rien ne lui résiste. Mais en plus d’être ingénieux le tonton, il est aussi cascadeur à son insu. Cascade à l’intérieur du bateau, cascade à l’extérieur du bateau, avec une mention spéciale pour ses montées d’escalier et ses rencontres avec le capot à moitié ouvert. Dommage que le bonnet ne soit pas équipé d’un renforcement moelleux, il en est à 5 bosses si j’ai bien compté.
Si je devais garder une image du tonton. Sans hésiter sa pêche de la dorade coriphène :
Fin d’après midi, après quelques jours infructueux de pêche, le bateau est au portant, il y a du vent. Alors pour le plaisir j’ai pris la barre, le père lit, le tonton aussi et Simon remonte avec deux ou trois tartines pour casser son appétit. Il s’installe près de moi puis regarde la ligne qui plie mais ne rompt pas, puis scrute au loin et dit au tonton qu’il a dû attraper quelque chose. Ni une ni deux, Loïc se précipite sur la canne, Simon lâche ses tartines pour l’assister et je m’applique à ralentir l’allure du bateau. Un tour de moulinet, puis deux, puis trois, puis rien, le moulinet se bloque, se pète et quitte la canne. Le tonton maintient le moulinet dans ses mains et tourne le moulinet cassé sur lui même pour ramener la ligne. La dorade est belle et ne se laisse pas faire, vrille, saute, tente de se faire la malle. Le tonton demande alors au père d’aller chercher son appareil photo, celui-ci s’exécute, revient et se penche au dessus de l’eau pour prendre la photo. Mais là, panique du tonton, le père n’a pas la dragonne autour du poignet et il voit déjà l’appareil à la flotte. En gros la scène ça donne un tonton en mode spectateur à Rolland Garros, avec un regard sur sa droite pour le poisson, un regard sur sa gauche pour son appareil photo. De la pure frénésie. Après des cris, des hurlements, des crises de fou rire, la dorade déboule dans le bateau, vaincue. Epique.
Je suis le mec qui a entendu transatlantique, a dit ok, a fait un repérage en janvier 2016 puis a signé en 2017 pour l’aller retour sur Kusupa. Dans ma besace pas grand chose, ni crème solaire, ni beurre de karité, ni bonnet, ni bottes, des caleçons, quelques fringues et basta. Jusqu’à la nuit dernière j’étais H24 pieds nus, mais le froid et l’humidité m’ont convaincu d’emprunter les bottes de papa pour les nuits . Comme je ne suis pas trop bricole, je consacre mon temps aux fourneaux en alternance avec le frangin. Cuisiner sur un bateau j’adore. Mais à ce niveau la récré est terminée, plus de frais en rayon, de la conserve juste de la conserve. Quand je ne suis pas en cuisine, et que le temps le permet, je prends la guitare de Lolotte et chante au milieu de l’océan. Et il y a eu je crois quelques bonnes impros. Il faut avouer que c’est facile de chanter fort au milieu de l’océan, encore mieux que le concept du « sous la douche ». En dehors des sessions de guitare, il y a pas mal de présence à la barre. La barre avant je n’aimais pas ça, mais aujourd’hui c’est un vrai plaisir, surtout sur ce terrain de jeu. Le bateau est un régal à barrer et puis là on est servi, en dehors de la pétole, on a eu droit à tout, du près, du travers, du portant, de la houle, de la bonne vague, du grain, du spi. Et enfin pour remplir les journées, il y a le lit. La sieste c’est bon aussi. Alors j’avoue que dans tout ça je n’ai pas ouvert un livre.
Si je devais garder une image de moi, woy ç’est bizarre d’écrire ça. Sans hésiter une fin de quart lors d’une nuit de pétole :
Une heure du mat, nous dérivons depuis plus de quatre heures toutes voiles rentrées, sans un poil de zef. La nuit est étoilée et c’est le moment pour Loïc et moi d’aller nous coucher, les deux autres vont prendre le relais. Je descends, me dessape, m’enroule dans les draps puis attends le sommeil. Le bateau couine de faire du surplace, le roulis lui est on ne peut plus désagréable. Et là je pars tout seul dans un fou rire, lâche au frérot en braillant qu’il est vraiment pourri son mouillage pour la nuit. J’ai eu besoin de cinq bonnes minutes pour arrêter de rire.
Simon, c’est le mec qui dans la vie décide de faire une transatlantique, à l’aller avec femme et enfants, au retour avec père tonton et frangin. Alors comme il a décidé, il a potassé. Du stage, de la pratique, de l’échange et des notices. Une petite encyclopédie dans sa tête. Résultat en mer, pas grand chose ne lui fait peur. Un vrai capitaine. A l’écoute de son bateau et de son équipage. De tous les choix, de toutes les manœuvres. Et puis déformation professionnelle oblige, il a la patience et la pédagogie de l’instit. Avec en prime sa distribution de bons points, d’avertissements et autres recadrages en règle. Bref sharp, précis pointu.
Déjà les ploufs dans l’océan c’est son idée. Mais la première fois, alors que l’on avait sonné la fin de la récré et déclaré fermée la piscine mondiale, il se fout à poil, plonge et nage cul nu en longeant le bateau. Génialissime !
C’est tout frais alors bon anniversaire Lolotte. Pour info on est à 97,8% dans les batteries avec 12,65V. Dans la famille je voudrais l’épouse ou la belle fille ou la belle soeur, c’est selon. Ne t’inquiète pas Charlotte, tout va bien, ton homme assure et tu le sais.